Ancestral Limbo

"Tout le monde devrait en ressortir plus smart in le bocal."
Hannah Graham
Joanne Gaillard : voix.
Emmanuelle Bonnet : voix.
Aina Rakotobe : voix, saxophones.
Thomas Florin : voix, piano, clavier, trompette, basse.
Nicolas Lambert : voix, basse, guitare, compositions, textes, projection.
Malik Kaufmann : voix, batterie.

Écrire le texte, puis la musique. Puis le texte.
Explorer les rapports entre musique et texte chanté, dit, joué, projeté.
S’entourer de gens qui font très bien ce qu’iels font,
et aussi ce qu’on n’aurait pas cru qu’iels feraient.
Parler d’écologie sans faire de la récup.
Ne pas se prendre au sérieux.
Ne pas prendre le public pour des cons.
Être en dehors des cases.
Rendre hommage à Callisto Berman, à Albertin Calmos
(plutôt qu’à Bill Sacramento ou Marcellina Bolts).
Écrire le texte, puis la musique. Puis le texte.
Je pratique en parallèle l’écriture et la musique depuis mon enfance. Les concours de poésie et de nouvelles m’ont notamment mené à la création du Collectif AJAR, pour lequel j’ai prêté ma plume à de nombreuses performances, un livre (Vivre près des tilleuls, éd. Flammarion), et tout dernièrement une pièce de théâtre (Si les feuilles tombent, coécrit avec Danica Hanz et Julie Guinand, sera créé au théâtre Pulloff/Lausanne en avril 2024). Mes premiers groupes, eux, m’ont conduit à une carrière de musicien professionnel.
J’ai collaboré ou donné l’impulsion à de nombreux projets qui naviguent entre ces deux domaines, de la mise en musique de perles de la littérature (Le Quintexte) à la traduction libre de standards de jazz (Envie ZZAJ). Mais je n’avais pas encore écrit intégralement texte ET musique pour un groupe... c’est donc naturellement l’envie que j’ai ressentie lorsque l’AMR, haut lieu genevois du jazz et des musiques improvisées, m’a octroyé une de ses cartes blanches.
Un des aspects grisants de ce double autorat, c’est de pouvoir modifier le texte en fonction des idées musicales qu’il suscite, et inversement ; l’œuvre n’est jamais dénaturée, et l’auteur jamais fâché.
Explorer les rapports entre musique et texte chanté, dit, joué, projeté. S’entourer de gens qui font très bien ce qu’iels font, et aussi ce qu’on n’aurait pas cru qu’iels feraient.
Les pièces composées pour Ancestral Limbo ne sont pas seulement des chansons. Aux mélodies écrites sur le texte répondent des paragraphes à dire, à déclamer, à chanter librement - un art dans lequel excellent Emmanuelle Bonnet et Joanne Gaillard. Les autres membres du groupe ne sont pas en reste. Ils pratiquent tous le chant à côté de leur instrument, et ont répondu avec enthousiasme à la proposition d’un groupe où chacun·e est appelé à utiliser un micro, de manière parfois inhabituelle. Ces six voix rendent en effet de nombreuses choses possibles, comme dans « Le livre des prénoms », dont le seul texte est un vaste répertoire de prénoms...
À cela s’ajoute l’utilisation d’un écran, sur lequel du texte sera projeté, tantôt pour créer une dimension supplémentaire à ce que le public entend (par exemple différentes citations de futurs parents qui donnent leur avis sur un prénom qu’on leur propose), tantôt pour permettre de suivre le texte dans ses jeux sonores et autres pirouettes oulipiennes.
Se fixer des contraintes très strictes, que personne ne décèlera.
Mettre la barre très haut, ce qui au limbo signifie très bas.
Grand admirateur de Georges Perec, j’ai toujours vu dans l’écriture sous contrainte, qu’elle soit littéraire ou musicale, une source d’inspiration et de créativité. Comme dans la danse du limbo, qui consiste à passer sous une barre placée de plus en plus bas, le buste tourné vers le ciel, les morceaux d’Ancestral Limbo se contorsionnent pour trouver de nouveaux chemins contournant les contraintes que je me suis fixées.
« Gibraltar » est par exemple un poème à rimes contrepétantes : les trois dernières syllabes de chaque vers brassent les phonèmes de G-I-B-R-A-L-T-A-R. « Baden Baden » a des couplets qui utilisent uniquement les consonnes B, D et N. Le refrain de « Coloc » est quant à lui un palindrome sonore : enregistré et passé à l’envers, il donnerait le même refrain – il en est de même pour les notes de sa mélodie, qui suivent le même ordre dans les deux sens.
Si ces consignes, parfois explicitées par la mise en forme du texte projeté, peuvent échapper à l’auditeur·ice, elles ont en revanche toujours une incidence forte sur les sonorités du texte. En résultent une sorte d’écho non rimé, des allitérations, un vocabulaire atypique et évocateur, ou le choc de deux mots qui ne se rencontrent jamais.
Parler d’écologie sans faire de la récup.
Très centrés sur leur « son », les textes ont néanmoins aussi un message. « Coloc » file par exemple la métaphore du colocataire invivable pour parler de la cohabitation forcée, sur Terre, avec les climatosceptiques. « Le livre des prénoms » parle, d’une certaine manière, des décisions à prendre et des questions qu’on se pose à l’attente d’un enfant. « Le LA » est un hommage au Lac Léman, dans lequel je me baigne toute l’année pour qu’il me « remette au diapason ».

Ne pas se prendre au sérieux.
Ne pas prendre le public pour des cons.
Pendant une répétition, mimant une personne qui serait venue voir notre concert, Joanne a dit : « C’est sympa ce groupe, mais ils se prennent au sérieux quand même. » Cette phrase au second degré m’a comblé, car c’est une des volontés de base : se faire plaisir, utiliser à bon escient l’humour, l’autodérision du musicien artiste, montrer que la scène est un terrain de jeu, et pas seulement une partie de poker où les mines patibulaires sont de mise.
L’attitude du musicien sur scène, le fait qu’il prenne des poses pour montrer que ce qu’il effectue est techniquement très difficile, ou exhale le plaisir du partage et du jeu, est une question importante. Pour moi, aller au concert se rapproche plus de l’acte d’aller au théâtre que de celui d’aller à une compétition sportive.
Si tous les textes n’invitent pas aussi clairement à la rigolade que « Cosmonaute Cosmopolite » (une ode aux plaisirs charnels avec les extraterrestres de tout le système solaire), une forme d’humour ou de détachement de la réalité sera présente tout au long du concert. Chercher à divertir le public, le divertir de la réalité, ne signifie par forcément mettre la barre très bas (très haut, au limbo). Les spectateur·trice·s attentif·ve·s auront mille détails à cueillir dans les harmonies, les improvisations, les paroles, les textes projetés, etc.
Être en dehors des cases.
Rendre hommage à Callisto Berman, à Albertin Calmos (plutôt qu’à Bill Sacramento ou Marcellina Bolts).
Si je n’ai pas encore collé de style sur cette musique, c’est volontairement. Je préfère parler des envies, des concepts et des valeurs qui sous-tendent Ancestral Limbo. Si les personnes réunies dans ce projet viennent toutes du milieu du jazz, je ne trouve pas nécessaire d’apposer ce mot sur ce projet, car le jazz en somme a éclaté dans de nombreuses directions, et pour moi il est à présent plus un outil, un couteau suisse qui permet de tout démonter et remonter différemment, qu’un style de musique dont on pourrait cerner des caractéristiques.
C’est ce que montre notamment « Hannah Graham », pièce fleuve d’une vingtaine de minutes, pour laquelle je n’ai donné aux interprètes que quelques consignes, et un texte de quatre pages. Ce dernier, lu par Joanne Gaillard, est un faux article qui retrace l’incroyable trajectoire d’une artiste pluridisciplinaire fictive, Hannah Graham. Le vrai fil conducteur de ce texte, ce sont les presque cent anagrammes d’« A-N-C-E-S-T-R-A-L L-I-M-B-O » cachés dans l’article, qui se composent et décomposent à l’écran au fil de la lecture.
Mais le texte est aussi une parodie de la « littérature secondaire » sur l’art et la musique, qu’il s’agisse d’articles, de critiques de disques, de descriptifs de groupes dans les programmes, ou des propos que les artistes tiennent sur leurs propres créations.
Il explore indirectement des thèmes comme le besoin de trouver la tournure de phrase la plus sexy possible pour vendre un projet artistique – et donc le rapport de l’art à notre société de consommation – ou le malaise ressenti lorsqu’un artiste dont le nom nous est inconnu est cité comme une référence incontournable.
Jouer, même entre les morceaux.
Cette Hannah Graham fictive est aussi présentée comme la leader du groupe Ancestral Limbo. Le faux article cite même d’autres morceaux du (vrai) concert. Il s’agit là d’un autre désir que j’avais avec cette carte blanche : jouer sur le fait que le musicien, du moment qu’il est sur scène, est en représentation. Interroger, encore, la posture de l’artiste par de telles mises en abyme, et l’utilisation de tout ce qui est entre les morceaux, et généralement peu considéré (souvent par l’artiste même) alors que cela fait partie du concert : l’accordage, la présentation des musicien·ne·s, les mots d’introduction avant une nouvelle compo, le fait de ne pas parler la même langue que le public, les remerciements etc.
Sans avoir la prétention d’être comédien·ne·s (quoique notre batteur soit champion du monde d’impro théâtrale), les membres d’Ancestral Limbo ne seront pas forcément eux-mêmes entre les morceaux. Il exploreront ce flou artistiques, ces limbes (limbo, en anglais). Ils donneront à voir un concert pensé de bout en bout pour être un moment inhabituel qui amène, par ses jeux de miroir, à rire autant qu’à réfléchir.

Ce qu’en dit le public
« Un projet original et unique en son genre où mots et musiques dialoguent d’égal à égal avec beaucoup de finesse, d’humour et de fraternité...Un côté très théâtral qui va parfois jusqu’à l’absurde. »
« Une belle découverte sortant complètement des sentiers battus, ce qui, de nos jours, est déjà une prouesse en soi! L'utilisation du texte est très musicale et ludique, un vrai tissage finement exécuté par une belle brochette d'excellent·e·s musicien·ne·s. Humour, créativité, originalité, réelles compétences musicales, personnalité(s)... Une soirée dépaysante, pleine de surprises et parfaitement réussie. »
« Au-delà du prodige de l’anagramme trituré en tous sens, c’est plutôt la beauté de la musique que ces mots et ces phrases découvertes ont suscitée que j’ai aimée, dans une auto-dérision drôle et entraînante. »
« Un concept drôle et intelligent, une virtuosité verbale inégalée, et une grande finesse et poésie musicale de la part de chacun et chacune dans un concert mémorable! »
« Merci pour ce concert décapant et tellement feel good. La variété de vos casquettes (chanteur acteur musicien écrivain) est impressionnante et je ne me lasse pas de vous entendre manier les mots avec autant de plaisir et de malice. J’ai beaucoup rigolé avec « Le LA » et « Baden Baden » et versé une petite larme lors de l'a capella final! C'est quand le prochain ?? »
« Deux chanteuses aux voix magnifiques, très différentes et complémentaires par leur timbre et leur présence. Des mots, encore des mots, ça fait travailler les méninges en rigolant sans cesse, en mettant au cœur de l'œuvre les sons, tous les sons, le mariage des sens. On rit, on réfléchit, on est surpris, on se perd parfois, et ça fait beaucoup de bien ! Des mots et syllabes projetés, entendus, écoutés, chantés, murmurés, on en prend plein la vue et les oreilles. Bravo aux musiciens-conteurs pour cette expérience unique. »
« Une vaste exploration du langage verbal et musical où l'humour est un peu partout. »
« Différent de tous les concerts que j’ai pu voir à l’AMR. »